jeudi 4 juin 2015

Puanteur et froideur

En ce moment, il y a deux procès qui se tiennent en parallèle et qui font beaucoup parler d'eux. Les procès Jouanneau et Outreau. Bizarre assonance de deux noms qui renvoient à l'horreur absolue. J'ai suivi les 2 procès en live-tweet, et maintenant qu'on en arrive au dernier jour, j'ai eu envie d'écrire, pour la première fois depuis longtemps.

Au procès Outreau, le président de la Cour a parlé de puanteur, et mon Dieu, c'est si vrai. Parce-que les parties s'invectivent, et pour dire les choses franchement, disent des horreurs absolues. Les parties civiles qui reviennent sur les acquittements, en oubliant complètement qu'un acquitté est innocent aux yeux de la loi et du monde. Mais qui, de toute façon, à part les enfants Delay, croit encore à la culpabilité de ces gens ? Et encore, à part Dimitri (le principal accusateur), les enfants qui n'en sont déjà plus admettent qu'ils ne sont pas sûrs. 
Je sais ce qu'est la mémoire traumatique. Je le sais par expérience. Je sais les flashs, les images qu'ils disent voir. Je sais aussi à quel point un enfant ment. Burgaud avait dit que les enfants ne mentent pas. Et c'est tellement faux, et en même temps si vrai. J'ai commencé à mentir consciemment très jeune, pour plaire, pour me protéger et parfois, sans même savoir pourquoi. Et une fois qu'on est dans le mensonge, qu'on s'y empêtre, il devient la vérité. Il devient notre vérité. Et franchement, je ne pense pas que ces 3 enfants puissent sortir du mensonge. Ils s'y accrochent, comme à une bouée, parce-que le mensonge les a sauvés des griffes des monstres. Parce-qu'ils ont sans doute encore besoin de vengeance, même si pour ça, ils font condamner des innocents. Et leurs avocats, et certaines associations d'aide à l'enfance, les enfoncent encore plus dans le mensonge, dans cette vérité parallèle dont ils ne peuvent plus sortir depuis longtemps.
Voilà, le procès d'Outreau, avec ces plaidoiries immondes, où Me Reviron accuse sans presque le cacher un homme lourdement handicapé, qu'on sait innocent sans le moindre doute, d'avoir peut-être finalement violé les enfants, parce-que les enfants ont dit qu'il y était. Les enfants ont dit. Ils ne peuvent pas mentir. S'ils accusent, il y a forcément un fond de vérité, ils ont forcément vu ces gens faire des choses.
Il faut quand même rappeler que les enfants Delay sont des victimes. 4 personnes ont été reconnues coupables de viols sur eux, dont leurs propres parents. Ils ont vécu l'enfer, et je pense qu'ils n'en sont pas ressortis. J'ai vécu des traumatismes beaucoup moins graves, et je replonge souvent. Alors oui, ce qu'ils décrivent, ce qu'ils disent, est basé sur un fond de vérité. Ils ont été violé. Ils ont vu des vidéos épouvantables, à un âge où on ne devrait voir que des dessins animés. Et ensuite, ils ont ajouté des éléments. Parce-que 4 personnes, ce n'est pas suffisant pour expliquer le calvaire qu'ils ont vécu. 4 personnes, c'est si peu. Le monde entier leur a fait mal à ces enfants. Alors il fallait condamner le monde entier. Dimitri a accusé 70 personnes. Au procès, il a juré encore une fois que ces gens l'avait violé. Il l'a dit en face d'eux, en les regardant dans les yeux. Alors que l'enquête a prouvé que c'était faux. Ils n'ont même pas été accusés par la justice, tout montrait que c'était impossible.
Je pense vraiment que ce troisième procès est le procès de trop. Daniel Legrand et les acquittés d'Outreau ne méritaient pas de revivre ça. Et les enfants Delay ont été sans doute enfoncés encore un peu plus dans leur enfer personnel. Il ne s'agit pas de justice ici, mais d'une mascarade immonde, hideuse et puante. Et malgré ce que disent les parties civiles, je ne pense pas que ce procès les aidera à tourner la page. On ne tourne jamais vraiment la page. On apprend à vivre avec nos traumatismes.

Jouanneau maintenant. Pas un lieu, mais un nom de famille. Mathis et Sylvain Jouanneau. Le fils et le père. Le fils a disparu depuis maintenant 3 ans et 9 mois, après avoir été enlevé par le père. Jouanneau dit qu'il l'a mis en sécurité, qu'il l'a confié à des "frères musulmans". Mais nombreux sont ceux qui pensent qu'il a tué son enfant. Jouanneau, qui pendant 4 jours de procès, est resté d'une froideur inhumaine, même quand sa propre mère le suppliait de dire ce qu'il avait fait de Mathis, même quand elle l'a renié, en disant regretter de l'avoir mis au monde. 4 jours pendant lesquels il s'est posé en victime, victime des ses ex-femmes, victime de la société, victime de tous.
Mathis est en sécurité, dit-il. Il le sait, il a eu des nouvelles récemment. Quand, comment, par qui ? Il ne le dira pas, évidemment. Sylvain Jouanneau, qui a écrit 4 pages glaçantes de menaces envers son ex-femme (la deuxième, pas la mère de Mathis). Qui a écrit sur MSN que Mathis était un enfant de la haine et du mensonge, peu de temps avant de l'enlever. Jouanneau, qui lève le poing en entrant dans le boxe des accusés, comme un combattant qui entre sur le ring. Il ne parle pas de son fils. Il parle de lui-même, toujours lui, Sylvain Jouanneau. Lui, que Nathalie a fait souffrir. Nathalie, la mère de Mathis, qui lui a enlevé son fils, et qui l'a quitté, lui. Alors il a dit à Mathis qu'elle était morte, le jour où il l'a récupéré à l'école. Et il est parti, dans le sud de la France, et pendant 3 mois, il s'est caché. Et quand on l'a retrouvé, il était seul. Mathis n'était plus là. Alors il a été arrêté, pour enlèvement et séquestration.
Mais il nie la séquestration de son fils. Après tout, Mathis ne porte pas de chaînes. Non, Mathis ne porte sans doute pas de chaînes. Quand on lui demande si Mathis est mort, il répond non. Et je crois qu'il pense oui. Parce-que ce déni, ce manque d'explications cohérentes, cette froideur terrifiante, tout ça crie "Mathis est mort, mais je ne vous dirai jamais où il est, vous ne ferez jamais votre deuil, parce-qu'il y aura toujours l'incertitude". Il ne sera évidemment pas condamné pour meurtre. Pas de corps, pas de crime. Juste une terrible histoire de vengeance.

Jouanneau, Outreau. Des histoires d'enfants. Des histoires de mensonges aussi, et la vérité qui ne sort pas, qui, sans doute, ne sortira jamais. Les mensonges d'enfants victimes, ou ceux de père coupable, et toujours cette impossibilité de dire la vérité. Comment dire "j'ai tué mon enfant pour me venger de sa mère" ? Comment dire "on a accusé à tort des innocents, et ça a mené à trois procès" ? Parfois, la vérité est simplement insurmontable. Impossible à formuler. Le procès Outreau ne sert qu'à l'enfoncer un peu plus, cette vérité d'enfants brisés. Le procès Jouanneau a essayé de la faire sortir, sans succès face à un manipulateur égocentrique. Outreau, Jouanneau. L'histoire de destins fracassés.